Qu’est qu’une décision de divorce au sens du règlement Bruxelles II bis ? C’est à cette question qu’a répondu la CJUE dans un arrêt de grande chambre (CJUE 15 nov. 2022, C‑646/20, TB) à la suite d’une question posée par le Bundesgerichtshof (BGH).
Un Italo-allemand et une Italienne se sont mariés en 2013 à Berlin. En 2017, ils ont décidé de divorcer en utilisant la procédure de divorce extrajudiciaire italienne (procédure prévue par l’article 12 du décret-loi no 132/2014). L’officier de l’état civil italien a, le 2 juillet 2018, délivré le certificat visé à l’article 39 du règlement Bruxelles II bis, attestant du divorce avec effet au 15 février 2018. La transcription du divorce dans les registres allemands de l’état civil est néanmoins refusée. Ce refus fait suite à une décision judiciaire indiquant que ce divorce extrajudiciaire devait, pour être inscrit, être reconnu par le ministère berlinois de la Justice. Or cette autorité a rejeté la demande de reconnaissance au motif que cette reconnaissance n’était pas nécessaire. Le jugement de première instance a cependant été infirmée par le Kammergericht Berlin qui a interdit au service de l’état civil de subordonner l’inscription du divorce à une reconnaissance préalable par le ministère berlinois de la Justice. Le pourvoi formé contre cet arrêt a incité le BGH à interroger la CJUE, afin de savoir si la notion de « décision », au sens du règlement Bruxelles II bis, couvre l’accord conclu par les époux et « prononcé » par un officier de l’état civil d’un autre État membre. Il précise qu’en cas de réponse positive la notion de « décision », couvrirait des actes juridiques privés relevant de la volonté autonome des parties, et n’émanant pas d’une juridiction ou d’une autorité exerçant des prérogatives de puissance publique, ce que soutient une partie de la doctrine allemande. Le BGH exprime son scepticisme : selon lui, un contrôle par une autorité publique est nécessaire pour garantir la protection de l’époux « le plus faible » contre les désavantages liés au divorce (première question). Il se demande en outre si, à défaut de voir dans le divorce italien une décision au sens du règlement Bruxelles II bis, il serait possible de le reconnaître sur le fondement de l’article 46 de ce règlement (reconnaissance des accords entre parties). La Haute juridique exprime ici aussi scepticisme en mettant en avant que la reconnaissance de ces accords serait limitée à la matière de la responsabilité parentale (deuxième question).
En réponse à la première question, la Cour de justice rappelle l’importance du principe de reconnaissance mutuelle des décisions. Elle indique que le terme de décision utilisé par l’article 2 point 4 du règlement Bruxelles II bis, doit recevoir une interprétation autonome et « que la notion de décision en matière de divorce vise toute décision de divorce, quelle que soit sa dénomination, qui est rendue par une autorité d’un État membre compétente, à l’exception des autorités du Royaume de Danemark » (pt 47), ce qui peut couvrir des décisions de divorce intervenues au terme d’une procédure extrajudiciaire, pour autant que le droit des États membres confère également aux autorités extrajudiciaires des compétences en matière de divorce. De telles décisions bénéficient de la reconnaissance automatique prévue à l’article 21. Pour la mise à jour des actes de l’état civil, la décision ne doit plus être susceptible de recours (pt 49). Il importe peu les procédures extrajudiciaires de divorce n’ait été adoptées dans certains États membres qu’après l’adoption du règlement Bruxelles II bis. La définition des décisions dans ce Règlement est suffisamment large pour couvrir les décisions extrajudiciaires. En outre ce règlement cherche à faciliter la reconnaissance des décisions de divorce.
Concernant le degré de contrôle que doit exercer l’autorité compétente en matière de divorce pour que l’on puisse parler de décision, la Cour, après avoir rappelé sa jurisprudence Sahyouni (qui exclut les divorces privés, résultant d’une déclaration unilatérale d’un des époux devant un tribunal religieux CJUE 20 déc. 2017, aff. 372/16), exige que l’autorité qui prend une « décision » examine les conditions du divorce au regard du droit national, ainsi que la réalité et la validité du consentement des époux. La CJUE se retranche derrière l’arrêt Solo Kleinmotoren (CJCE 2 juin 1994, C‑414/92), EU:C:1994:221) bien que celui-ci paraisse plus exigeant. En effet, aux termes de cet arrêt, la notion de « décision » implique que la juridiction statue « de sa propre autorité sur des points litigieux entre les parties ». Dans le cas du divorce extrajudiciaire, il apparaît difficile de découvrir des points litigieux.
La CJUE conforte ensuite son analyse en s’appuyant sur le règlement Bruxelles II ter. D’une part, ce règlement permet explicitement de voir dans les accords de divorce, approuvés par une autorité judiciaire ou extrajudiciaire après examen sur le fond de leur conformité à la loi nationale des « décisions » et non de simples accords. D’autre part, il n’a pas cherché à innover mais uniquement à clarifier la distinction entre « décision », « acte authentique » et « accord entre parties ». Cette position était celle qu’avait exprimée la Commission au cours de la procédure.
Ceci posé, la CJUE recherche si l’officier de l’état civil, en Italie, procède à l’examen au fond de la conformité du divorce à la loi nationale. Elle l’admet dès lors que l’article 12 du décret-loi no 132/2014 l’oblige à recueillir personnellement et par deux fois, dans un intervalle d’au moins 30 jours, les déclarations de chaque époux. Cette procédure lui permet de s’assurer du caractère valable, libre et éclairé de leur consentement à divorcer, mais aussi du respect des dispositions légales en vigueur (à savoir, en l’espèce, que l’accord n’ait pas d’effet en matière patrimoniale, que les époux n’aient pas d’enfants mineurs ou d’enfants majeurs incapables, gravement handicapés ou économiquement non indépendants). Elle emploie finalement l’expression « prononcer le divorce » pour décrire le rôle de l’officier de l’état civil italien.
Une telle solution invite à s’interroger sur le sort des divorces « sans juge » qui se sont développés dans différents Etats membres. En droit français, il n’est prévu à aucun moment de contrôle au fond par une autorité publique, de telle sorte que ces divorces doivent être qualifiés d’accord et non de décision. Ils pourront toutefois circuler dans le cadre du règlement Bruxelles II ter, sur le fondement de son article 65. Dans le cadre du règlement Bruxelles II bis, leur sort reste incertain. La réponse à la deuxième question préjudicielle aurait permis d’y voir plus clair. La réponse à la première question l’a néanmoins rendu inutile.